Une journée presque comme les autres à Port Destinée

Franck observait avec un air intrigué depuis un certain déjà le remue ménage causé par un groupe fraichement arrivé. Le dénommé Badtipper et son acolyte The grim semblait donner bien du fil à retordre à Marcel, le comptable nouvellement promu. Après avoir lorgné sur une arme de bonne qualité et une petite besace bien pratique pour y dissimulée toute sorte d'objets, les deux hommes avaient bien du mal à se défaire de leurs marchandises malgré les insistances de l'ancien banquier suisse. Le binôme semblait avoir du vécu et du savoir-faire en troc et notre responsable des ressources avaient bien du mal à en tirer quelque chose. Franck se demandait toutefois ce qu'ils complotaient. Lui-même était généralement assez offrant de sa personne sachant que son inestimable présence attirait bien des convoitises et lorsqu'avec le petit chinois teigneux, la fille hystérique (sans compter l'étrange capitaine en slip et la vieille peau qui les avaient rejoint au cours de l'aventure) ils s'étaient mis d'accord sur la construction d'une communauté, ils avaient en tête d'accueillir tous bandits de passage comme il se devait, mais bien évidemment de mettre en commun leurs efforts et leurs ressources pour s'établir de façon sûr face à cet hiver rude qui s'annoncerait bientôt. Et ses personnes ressemblaient plus à des marchands itinérants qu'à de véritables membres de la cité.
 
Il se promenait dans les ruelles de la cité, lorsque des cris interrompirent la tranquillité de sa marche. Les deux fameux compères appréhendaient les passant à qui mieux mieux pour refourguer tout leur bric à brac d'armes en tout genre récupérées au gréé de leurs péripéties. Franck se figea un instant, ses craintes étaient confirmés. Il songea intérieurement que leur petit manège ne serait pas au goût de tout le monde, il pensa notamment aux personnes habituellement peu patientes tel que l'asiatique ou la petite, mais également au pauvre comptable maintenu dans un état de stress permanant ces derniers temps. Les fomoires ont le sang chaud, Franck le savait, et mieux ne valait pas trop se jouer d'eux. Les occasions pour se mettre sur la figure étaient très appréciées dans le coin. Il émit un petit sourire crispé lorsque le marchand provisoire l'interpella tout en l'invitant à essayer quelques armes folkloriques. D'un geste catégorique, l'homme refusa l'offre:
 
« Allons, allons, Franck n'a nul besoin d'artifice humain pour se défendre, tu devrais le savoir. D'ailleurs qui pourrait bien vouloir éliminer un être aussi proche de la perfection que lui ? On se le demande. En tout cas, je doute que tes marchandises ne se vendent si facilement. D'une part car la cité semble protégée par un certain nombre d'énergumènes assez instables d'esprit et dont je ne souhaite pas à nos assaillants qu'ils leurs tombent dessus par mégarde. D'autre part, car, flibustiers autant que nouvel arrivants sont soumis à un même partage des ressources et en cas de risques potentiels, des dispositions seront pris pour assurer la protection des résidents de Port Destinée comme il se doit. Je vous conseille de ranger assez rapidement votre comptoir. »
 
Sur ces mots, l'éphèbe tourna la tête de gauche à droite comme s'il s'attendait à voir débouler Marcel en trombe, le visage suintant, rouge comme un porcelet et la bouche crispé en un rictus de hargne.
 
« Sur ce, je vous laisse, j'ai quelques admiratrices à fertiliser. »
 
Franck observa attentivement son petit cahier rose couvert de boue et lu à haute voix:
 
« Binter, fait. »
 
Il raya le nom de sa liste. Et nota en recommandation pour lui même de bien nettoyer la réserve à plantes médicinales, ainsi que le lit de l'infirmerie et de ne pas hésiter à bien frotter à certains endroits. Il hésita un moment puis ajouta également le bureau, le fauteuil de l'infirmerie, le lit d'occultation, la salle d'attente et les divers outils qui trainaient encore dans les coins. Il ferma son bloc-notes d'un claquement sec et se recoiffa à la va-vite d'un geste de la main. L'homme prit à partit Wendac qui passait dans le coin et n'avait pas l'air receptif à son monologue.
 
« Il me semble que je n'ai pas salué comme il se devait la petite hispanique arrivée récemment. Les quelques brefs échanges purement administratifs partagés m'ont un peu laissé sur ma fin. Elle semblait tout à fait charmante et en tant que diplomate attitré je me dois de la saluer décemment, en tout bien tout honneur bien sûr. Allons bon, comment on dit déjà « tu veux la toucher? » en népalais? Moui....je parle de la radio communautaire évidemment, elle est très fragile, et je ne la confie qu’aux personnes de confiance. Mais dans un geste de rapprochement mutuel je peux faire une exception. Je vais prévenir mon entourage qu'on me laisse tranquille un certain temps, j'aime bien connaître les gens un peu plus en profondeur cela leur permet de profiter un peu plus de ma Grandeur. Chose que les gens apprécient généralement. »
 
Franck s'arrêta brutalement, manquant de percuter ce cher Wendac absorbé par une étude d'un papillon local apparemment fascinant mais dont Franck en l'instant présent ne portait que peu d'intérêt (d’ailleurs Franck en connaissant beaucoup plus que cet homme et la grande majorité des gens vivants ou morts). Une créature d'une vingtaine d'année aux yeux en amandes et à la peau légèrement dorée était affalée de tout son long à l'ombre d'un palmier. Elle saluait d’un signe de la main le petit chinois qui apparemment venait de terminer de faire les présentations et s'en retournait, comme à son habitude, vaquer à ses nombreuses occupations.
 
« Perfide petit asiatique, pensa-t-il, voilà qu'à présent qu'une personne de son espèce venait se pavaner devant lui il allait surement ne pas pouvoir en dormir de la nuit ! »
 
L'homme se reprit et chassa de son esprit ses pensées troublantes et pour le moins inhabituelles. Pendant ce temps là, la jeune fille avait posé ses yeux sur lui. Franck fut pris d'un choix ardu: souhaiter la bienvenue à cette charmante personne, dont il n'avait même pas supervisé l'arrivé et, pour s'excuser, se proposer généreusement en tant que guide pour visiter ses nombreux coins et recoins ou...poursuivre sa route et, comme il l'avait promis à la petite Matteucia, lui faire don de ses qualités d’orateur en l’amusant de récits héroïques perpétré par son interlocuteur lui-même qui ne manqueront pas de la tenir en haleine, comme tout ce que Franck fait. Le bellâtre se savait trop généreux, il hésitait entre deux personnes à combler de son inestimable présence, mais ne savait plus où donner de la tête. Franck était la bonté incarné, il ne pouvait s’empêcher de semer la joie et la bonne humeur derrière lui, c’était plus fort que lui !