De la difficulté d'accoucher son Apocalypse.

Elle est de ces êtres évanescents qui, sous la chape de plomb qu'érige crescendo le jour chaud et sec, paraissent invariablement nocturnes et glacials.

Même avec une peau tannée par le soleil.
Une peau tannée sur laquelle serpentera, jusqu'à la décomposition fatidique, les irréguliers récifs sanglants d'un passé endolori.
Même avec ces cheveux raides de sel et de sueur.
Ces cheveux taillés régulièrement à la hache, ne dépassant jamais une certaine longueur, mi-garçon mi-fille, mi-figue mi-raisin, comme s'il y avait quelque indécence au changement, à l'originalité, au pied de nez à la rigueur.

Il y aura toujours un détail qui contrebalancera l'ensemble.
Des yeux astraux perdus dans un derme crispé.
Des seins maternels dessus des abdominaux guerriers.

Des asymétries comme autant de boulets invisibles et mutiques à traîner.
C'est ainsi. Main droite crochet gauche.

Là, les flots pollués scintillent de mille feux. C'est ainsi, asymétrie.
Les déchets se parent de reflets d'or. C'est ainsi, asymétrie.

Pieds nus dans la dune. Image apaisante.
Et comme c'est disgracieux, ces pieds immenses et diablement cornés, bandés par endroit, aux ongles noirs et jaunâtres, effrayants de laideur, mais, contre toute attente, ne semblant pas pourrir. Des pieds de bouche d'égout, de bitume, des pieds ayant foulé des millions de cadavres de cigarettes, des pieds qu'on peinerait à casser au burin et au marteau. Des pieds de goudron dessus la petite végétation se dégageant du sable.

Là, donc, une longue fleur fanée mais à la tige en acier se "ballade", au gré du vent inexistant.
La fleur sue comme l'arbre blessé déverse sa sève. Il fait très chaud.
La fleur à la robe terne. Kaki. Gris. Noir. Marron. Treillis.

Quelques oiseaux éboueurs festoient et ripaillent autour de la carcasse pesante d'un mammifère marin difforme.

L'eau montante clapote mollement sur les flancs d'un trésor.

Une caisse métallique, qui paraît entièrement hermétique, longue comme une planche à repasser, fermée d'un cadenas.

Les pétales de la fleur, emperlés d'écume; ou ses pieds monstrueux; caressent les contours de l'objet.

Un grognement sourd s'extirpe de la gorge d'Ivy Violet, qui se retourne nerveusement afin d'observer l'intégralité de la plage. Après tout, peut être est-ce la un piège à con. Après tout, peut être est-ce là juste de la paranoïa. Après tout, peut être que cette découverte est un hasard.

Et que la caisse t'appartient de droit, Ivy.

Sur les rochers, à contre-jour, une frêle ombre se dessine.
Un trait de fumée s'échappe de la tige qu'elle tiens en bouche.
Un bruit de frottement métallique et un mouvement mécanique.

Mercredi s'est installée ici. Là ou l'écarlate aimait s'isoler à ce qu'on dit.
Une roulée du Serbe en bouche, elle frotte son rasoir à une lanière de "cuir".

Il faudra s'approcher pour découvrir un fin corps juvénile sur lequel se dessine quelques formes féminines naissantes.
Une aura particulière, pesante se dégage d'elle.
Les yeux fixes, perçants, visage inexpressif entre ses deux tresses, sa robe et ses souliers noir en bon état et soignés si ce n'est quelques taches de sang au col et manches, des petites mains délicates mais aux gestes rapides et précis.

installée sur son postérieur jambes fléchis devant elle, la lanière tendue entre un pied et le genoux opposé, sans aucune bonne manière que devrait adopter une fille en robe dans cette position.

Un grognement lui fait stopper son geste répétitif, elle tourne la tête vers son origine et lève un sourcil pour distinguer cette femme qu'elle a déjà entraperçu au port.
Elle semble plutôt nerveuse... mais la gosse n'en tiens pas cas, elle pointe à nouveau son regard vers la ligne d'horizon est reprend sa tâche.

Les yeux se plissent, les épaules ne pivotent plus, la cible est bloquée.
Les cinq doigts défont les pressions de l'étui à jumelles.
L'extension du regard se fige ensuite une bonne minute sur la petite barbière; on pourrait entendre une mouche voler; avant de retourner vivement d'où elle vient.

"Mmmmh. Mmmmmh."

Sans plus prêter que quelques coups d'oeil fugitifs en la direction "peuplée", la grande femme s'accroupit et semble inspecter sous toutes les coutures la pièce de métal qui se présente à elle.

Que personne n'ait trouvé ce truc avant elle, c'est suspect. C'est forcément très suspect, du moins, quand on s'appelle Ivy Violet.
Le crochet soupèse à peine le cadenas, lui fait faire des jeux de lumières avec le soleil pendant deux secondes.
Les ongles avisent le sable qui entoure la structure, en grattant comme un chien cyno' ayant trouvé une touche, pour voir jusqu'où l'objet est enfoncé.
Reniflement dubitatif.
Le visage se tourne dans un sens, puis dans l'autre.
En marchant quasiment en crabe, elle fait le tour du machin, s'arrête de chaque côté, même manège, regards, ongles, reniflement dubitatif.
Parfois, le bout des doigts effleure à peine la poignée, les rainures, les vis.

Après cette première inspection, la main bandée finit, lentement, avec prudence, par se poser à plat sur le haut de la caisse, les phalanges en étoile, pour ne plus y bouger, là encore, durant un laps temps qui semblerait inconsidéré pour toute personne lambda (personne lambda qui aurait pris la caisse sans se poser de question et se serait tiré rapido presto, sans doute).
Puis, genoux dans le sable mouillé et la flotte qui fait des va-et-viens, la manchote penche sa colonne vertébrale, tourne le cou, fait ensuite épouser la partie droite de son visage à l'objet, jusqu'à ce que l'oreille se colle parfaitement à lui.
Le regard fixe est alors dirigé vers la silhouette de la gamine, sait t-on jamais, elle ne s'est pas trompée de bord pour poser sa tête...

Cinq bonnes minutes passent ainsi.
Le pantalon treillis commence sévèrement à prendre l'eau.

Lorsqu'Ivy se relève enfin, poing et crochet sur les hanches, scrutant la découverte comme un ennemi potentiel, elle se laisse encore aller à un commentaire des plus parlants, les lèvres pincées, l'air contrarié:

"Mmmmh. Mmmmmh."

Irrésistiblement intriguée, la petite ne peux s'empêcher de jeter quelques coups d'œils à la scène qui se déroule à coté.

Intrigue réciproque à en croire le nombre de fois où la fillette à croisé le regard de la femme.

Lorsqu'Ivy se relève, Mercredi s'est évaporée des rochers.

Plusieurs minutes s'écoulent,
la femme toujours figée devant la caisse est surprise par un léger *boum*.
Derrière elle.se tiens la sinistre gosse, le boum, une pioche u'elle viens de lancer à ses pieds.

Besoin d'aide ?

Regard en coin. La pioche près de ses orteils. La "môme" derrière. Tranquille.

Sauf que.

Sauf que dans l'instant, vilain automatisme, alors que la pioche s'affalait là, les doigts se dépliaient pour sortir lestement le tomahawk de son étui; le pied droit, lui, entamait une rotation, et les épaules pivotaient légèrement. Vue de biais, elle n'inspire pas beaucoup la confiance, comme ça. A vue d'nez, hein.

Regard en coin. La pioche près de ses orteils. La "môme" derrière. Tranquille. Mouais mouais.

La voix désaccordée si particulière finit par émerger de la gorge bronzée aux cicatrices rosées:

"C'est pas profond."

Le poignet d'Ivy s'éprend d'une impulsion nerveuse, le manche -et la lame- de son arme tournicotent en 360° dans sa paume. Puis, l'immobilité, serres crispées. On remarquera l'emploi du vouvoiement.

"J'vous aurai sonné si j'avais b'soin d'aide."

Encore un autre tour.

"D'autres questions ?"

Cette femme était vraiment nerveuse.
Mercredi a bien fait de lancer la pioche et non lui tendre.
Ça aurais très certainement été interprété comme une agression, et elle en aurais subis les conséquences.

Malgré un léger penchant masochiste, elle a tout de même la notion du danger et un fort instinct de survie.
Les mains vides mais pas spécialement mises en évidences, juste assez pour savoir qu'elle n'est pas agressive,
visage toujours amorphe et voix monocorde, elle lève un sourcil vers la main d'Ivy :
Belle arme, aussi efficace en combat rapprochée qu'à distance j'imagine ?

Pois relevant la tête pour lui parler tant que possible droit dans les yeux
Je t'... vous, ai vue arriver avec le Serbe il y a quelques lunes.
Et là vous sembliez en difficulté avec cette caisse.

Pointant la pioche du doigt :
Ça c'est pour le cadenas.

Et faisant un pas calmement en arrière pour accentuer ses intentions non agressives :
Si tout va bien alors je vais vous laisser...
Sinon je m'appelle Mercredi... et vous ?

Reniflement. Le nez froncé. Tic nerveux, p'tête bien. Comme le manège de l'arme.

"Ouais. Je roule avec le Serbe."

Son corps finit par se retourner complètement, mais elle garde exactement la même distance qu'auparavant. Sa poitrine se soulève à peine, comme si sa respiration était comprimée. Elle arrête les tours. Plisse ses yeux pour n'y laisser transparaître qu'une vague lumière verte et bleue, en fixant également Mercredi. Finalement, l'arme retourne se caler à sa hanche.
Elle fait ensuite craquer tout ses doigts, en formant un poing, puis en écartant, le bras raide, le long du corps. Doigts qui ressemblent à de longues pattes d'araignées sans poils, puissants, tailladés de partout, forgés dans le labeur et la misère.
Même si la hache est rangée, on pourrait croire qu'elle est prête à défoncer la gueule de la jeune fille à tout moment, sans raison apparente. Il se dégage une violence énorme mais compressée, chez cet être. Mais, après tout, peut être est-ce là uniquement les signes extérieurs d'un système d'auto-défense aux rouages trop rouillés pour être réparés. Et cette voix lugubre n'arrange rien. Le visage impassible de la gamine le lui rend bien.

"Une arme n'est pas efficace."

Jouerait t-elle sur les mots ? Pas le genre à déblatérer des paroles en l'air, pourtant. Ceci dit, le débat n'a pas l'air d'être ouvert.

"Pas besoin d'y aller à la pioche, et surtout pas ici. Vous pouvez récupérer votre outil."

Et merci ? Nan.
Elle annonce son nom comme on annonce un décès.

"Moi c'est Ivy, Ivy Violet [prononciation à l'anglaise].
Vous n'entendrez pas beaucoup parler de ce nom."

Toujours étrange, ce vouvoiement.
Et ce qu'elle rajoute également, comme si elle parlait de quelqu'un d'autre.

Ivy finit par se retourner, comme si elle n'accordait plus aucune importance à son "interlocutrice". Elle se penche, place le crochet au niveau de la poignée, et tire des coups secs par trois fois, en bandant à mort les muscles de son bras. La caisse se dégage de la "vase".
Poussant un autre grognement étouffé, comme de satisfaction, elle retourne vivement la tête vers Mercredi, un oeil visible entre les mèches de cheveux, toujours aussi alerte et nerveuse.

"J'emporte ça."

Mais, l'instant d'après, Crochet-girl semble marquer un drôle de temps d'arrêt. Elle regarde à nouveau la caisse. Puis Mercredi.
Son regard est moins dur, moins ciblé. Il paraît même un peu égaré, l'orbite tournant dans le vide cinq secondes, embrumé, comme si elle devait prendre une décision qui lui échappe complètement, qui la perturbe, ou qui lui fout la trouille. Les lèvres bougent un moment, mais aucun son n'en sort.

Avant qu'elle ne lâche, d'une voix particulièrement enrouée, mais beaucoup moins sèche:

"Mmmh...viens avec moi si tu veux...on va chez moi voir ce que c'est...ça sera peut être plus utile à toi qu'à moi..."

...

"...tu sens la cigarette de Jess...tu fumais là...c'est lui qui te donne ça ?..."

Bien-sûr qu'une arme n'est qu'un objet parmi d'autres dont l'utilité varie en fonction de qui la porte et pour quoi.
Elle le sait bien, ce qu'elle aime faire de son rasoir...
Mais elle ne répondra pas

Ivy Violet... Heavy Violette ?
Quel nom bien choisis. Mais la fillette est sûrement une des rares à entrapercevoir la violette.
Bien cachée sous cette croûte de violence.
En tous cas elle n'est plus la cible de Ivy et c'est déjà ça de pris.
Adoucie par son aspect juvénile ou son aptitude à se situer sur la chaîne alimentaire ?

Le changement de ton est soudain et plutôt surprenant, l'espace d'un instant elle ressemble à une femme, plus un animal.
Voilà qui pourrait mettre un terme à la curiosité de la gosse... ou l'attiser encore.

Ramassant la pioche et la jetant par dessus son épaule, elle suis Ivy, se maintenant dans son champs de vision.

Jess ? oui, il aime me les poser sur l'oreille. J'aime bien les siennes elles sont plus douces que celles de Franck.
Il est cool. Nouanda et Haarbald aussi...

Elle jette un oeil rapidement à son crochet, mais remballe vite sa curiosité.
Chaque chose en son temps, il serait sans doute mal venu de la questionner maintenant.

"Mouais."

Aïe-vie s'était donc mise en branle, la longue caisse maintenue fermement par le bras à prothèse, ne semblant pas plus que ça affligée par son poids, ajouté à la dureté du ciel tapageur. Hormis une sueur abondante qui, de toute manière, a presque l'air maladive, innée, aucune peine. Elle a même un pas assez difficile à suivre... Un vrai bulldozer.

Elle ne regarde plus tant que ça Mercredi, et semble scruter les moindres contours de l'environnement, jetant même quelques coups d'oeil derrière son épaule. Enfin. Quelques est un bien grand mot. Pléthore conviendrait mieux.

"Mouais.
...ça nique le souffle et ça rend accroc.
On peut t'pister si tu caches pas tes mégots.
Et ça n'apporte rien qu'des potentielles maladies.
D'la merde en barre ces trucs s'tu veux mon avis.
Jamais fumé et j'fumerai jamais."

Violet grommelle donc ainsi entre ses dents, alors qu'elles traversent les dunes pour rejoindre un chemin qui mène au port.

"L'alcool et les drogues c'est pire.
Altèrent les sens. Brouillent la pensée.
Comme si la réalité était pas d'jà assez dangereuse et dure à analyser.
Faut sans arrêt fêter des trucs avec ces saloperies...dès qu'y'a un événement à la con, faut sortir la camelote...très peu pour moi..."

Le visage fermé, elle garde le silence cinq secondes, avant de reprendre.

"Alors ils sont cools.
Les deux nouveaux là, Machin et Nouanda, c'est des gentils cons, surtout.
Jess c'est mon pote, alors j'peux pas dire.
Mais les deux autres...cools...mouais.
Machin ça f'rait longtemps qu'j'lui aurai défriché le disque dur, d'jà, si Jess y t'nait pas tant.
Quant à l'autre...bof. Gentille mais insipide. J'avoue qu'j'ai du mal à la blairer, mais c'est mieux qu'Machin."

Sympa... Les premières installations de la ville apparaissent au loin.