Dessine-moi un songe !

Matelot Messages : 81 Date d'inscription : 21/01/2012

Nausée quand tu nous tiens ! Excellent réveil matin réglé comme du papier à musique. Le lendemain de son arrivée ne fait pas exception. Plus reposée avec une meilleure mine, elle délaisse ses compagnons de route pour se noyer du reste attisant sa curiosité. Se noyer du reste du monde, s'égarer, s'abandonner à l'imprévu de quelques pas en solitaire.

En silence et toute en discrétion. Des ablutions, tentative désespérée pour paraitre plus élégante, pour ne pas ressembler à un vulgaire sac à patate alors que son corps change de semaine en semaine, de lune en lune. Bientôt le quatrième mois, le début du second trimestre.

Elle se sent d'humeur vagabonde et n'a guère achevé la visite des lieux, préférant s'en imprégner sans guide touristique que de se laisser aller à écouter des inepties. Pas forcément tendre avec ses congénères, la voilà qui déambule fort tôt, bras repliés contre elle, pour se protéger du léger vent vivifiant et accéssoirement, maintenir fermé le gilet qu'elle porte auquel il manque quelques boutons.

Pas à pas, elle note chaque bâtiment de la craie de sa mémoire. Elle lève le nez vers le phare, observe les matinaux partir à la tâche. Ce n'était pas comme Moscou, New York ou Mexico ni même Hong Kong. Des bâtisses de fortune, certaines plus vétustes, d'autres mieux loties. Ce qui l'intrigue, ce sont toutes ces tentes. Des étals encore vides à cette heure-ci. L'heure où tout le monde dort encore, presque tout le monde alors que le ciel s'enrubanne des premières lueurs de l'aurore.

Curieuse, un brin sans gêne car pas vue pas pris, elle entre, observe sans toucher à rien, repart, change de tente et récidive le même protocole bien huilé. Seulement voilà, à force de déambuler, de s'abandonner à sa vive curiosité, vient bien un moment où elle pénètre dans un lieu ne ressemblant à aucun autre. Elle reste à l'intérieur, bras croisés, penchant la tête sur le côté en remarquant une scène et des rideaux rouges. Rare moment où elle laisse une émotion la trahir. De la surprise. Une agréable surprise en effet. Là, où elle avait définitivement classé le genre humain comme opportuniste, stupide et belliqueux prompt à se prendre pour un peloton de divinités en goguette, prompt aussi à gérer des goulags-états terroristes et liberticides...

Elle constate, avec une certaine stupéfaction, une réalité toute autre. De petits riens agencés. De petits riens, comme le début d'un prémisse culturel. Assise dans un recoin, elle ne sait pas trop où elle est mais s'autorise à s'y sentir bien. Une lointaine réminescence, quelque part. Là, dans son enfance brouillonne alors qu'elle fait tourner lentement entre ses doigts, la petite manivelle d'une minuscule boite à musique métallique fabriquée par ses soins, sortie d'une de ses poches.

"Ca va être difficile de faire vivre le théâtre, Fozzie." lui a dit le Serbe. L'idée le hante depuis qu'il a prononcé les paroles. Un théâtre a besoin d'un spectacle. Kref, le rôdeur de la forêt et Woody, le gardien de la forêt, les marionnettes de Milosevik lui ont rappeler un conte. Il travaille a ce spectacle, imagine, construit. Le récit n'aura rien de spartiate. Un conte pour enfant, c'est son fond de commerce. Qu'importe si cela ne touche personne. Le théâtre aura son spectacle, il sera nourrit de son et de lumière, et lui le comédien aura sa raison d'être.

La nuit s'est passée en rondes entre les rues et les quais. Il est fatigué. Il a un décor qu'il veut finir, il dormira plus tard, il doit profiter de cet instant où l'image est présente dans son esprit. Ses jambes le trainent jusqu'à la tente. Une musique en sort. Notes au timbre cristallin, saccadées.

Il ferme les yeux. Dans l'obscurité artificielle, la mélodie dessine des mouvements qu'il voudrait pour Barbara mais qu'il ne pourra lui offrir.

Le silence bruyant du port qui se lève revient.

Le voile de l'entrée s'entrouvre pour le laisser pénétrer dans la salle. Il cherche du regard ce qui l'a émerveillé durant quelques secondes.

Loin de vouloir déranger la femme assise, le ton bas qu'il prend est une excuse pour devoir rompre le silence par des mots.

- Soyez la bienvenue dans ce modeste lieu de rêves.

D'un simple geste de la tête vers la boite à musique, il marque sa requête.

- Encore ?

Matelot Messages : 81 Date d'inscription : 21/01/2012

Toute recroquevillée dans son coin, elle relève légèrement la tête vers l'inconnu du théâtre qui l'extirpe des brumes délètères dans lesquelles elle s'était égarée. Une moue d'excuse pour s'être installée là sans autorisation. Une vague sourire affable quelque peu gêné.

Elle le détaille quelques instants de ses yeux clairs de l'est. Le jauge sans doute un peu aussi. Il n'y a aucune affiche, aucun spectacle de prévu. Elle avait fini par se dire que ce lieu était inhabité, sans vie, mort. Juste là pour faire joli ou alors comptaient-ils y ouvrir un sulfureux cabaret peut-être ?

S'il y avait des marionnettes ou tout un tas d'objets hétéroclites dans un coin, érangement, elle n'y aura pas vraiment prêté attention. Sinon, sans doute aurait-elle regardé, touché en se laissant aller à sa curiosité.

Elle s'éxécute à la demande du quinquagénaire et tourne encore la petite manivelle. S'envolent quelques notes jusqu'à la dernière avant qu'elle ne cesse. Moment de flottement. Voix très basse, légèrement éraillée et ponctuée d'un vague accent, elle finit par rompre à son tour le silence :

- C'est quand le prochain spectacle ?

Vague froufrou de tissus, elle se relève lentement en s'aidant de ses mains. Puis, doucement, elle s'approche du curieux bonhomme auquel elle jette un regard interrogatif.

- Lisbeth... Enchantée.

Elle accède à sa demande, la musique emplit l'air de nouveau. Fozzie se laisse porter jusqu'à l'image d'une nouvelle marionnette, un pierrot lunaire. Si elle n'était pas là, il se lancerait immédiatement dans sa fabrication.

Quand elle se lève, il fait un pas vers elle. Elle approche, lui aussi.

- Fozzie. Charmé.

Il lui sourit.

- Bientôt le spectacle. Vous le demandez, j'irai deux fois plus vite à le créer. Je serais navré que vous attendiez.

Le visage de la jeune femme n'est pas inscrit dans sa mémoire.

- Nouvelle venue ? Résidente permanente ? De passage ? Si vous avez une date de départ, je travaillerais jour et nuit pour vous offrir un souvenir, pas aussi beau que la mélodie, mais souhaitons mieux que médiocre.

Le comédien se tourne vers la partie atelier du théâtre sur le côté de la scène. Un réchaud, trois chaises, une grande table encombrée de matériel de récupération, de bois découpé, d'une marionnette en chantier.

- Une tasse de thé, vous ferez plaisir ?